Elodie, assistante familiale, se bat pour adopter la petite fille qu'elle ...

C’était en janvier 2018. Sarah a six mois tout juste lorsqu’elle arrive chez Elodie à temps plein. Il s’agit d’un placement judiciaire. À cette époque, l’assistante familiale accueille deux autres enfants, dont un qui est sur le point de partir. Le lien d’attachement naît rapidement entre le nourrisson et son assistante familiale. « Elle était très calme et ne pleurait pas. Un bébé modèle », se souvient Elodie. En 2021, il ne reste plus que Sarah au domicile de l’assistante familiale. La petite a 3 ans et Elodie, qui est aussi mère de trois grands garçons, décide de ne plus se consacrer qu’à elle. En septembre 2022, « on me demande si je souhaite me positionner si Sarah est adoptable, se remémore Elodie. Je réponds “oui” tout simplement.» L’Aide sociale à l’enfance décide de saisir le CESSEC en janvier 2023 pour qu’il examine la situation de la petite fille. L’ASE souhaite le retrait de l’autorité parentale. La petite fille n’a pas vu sa mère depuis trois ans.
La mère refait surface
La procédure de retrait de l’autorité parentale est portée devant le tribunal, mais la référente éducative tarde à déposer le dossier chez le juge. La mère revient pendant ce laps de temps et demande à voir sa fille, la procédure est alors annulée. La fillette âgée de 5 ans revoit sa mère, 30 minutes en tout et pour tout.« Je n’ai pas été déçue, car ce n’était pas le bon moment pour moi de lancer une procédure d’adoption, confie Elodie. J’étais sincèrement contente qu’elles se retrouvent ».
En décembre, la mère refait surface et demande à nouveau à passer un moment avec sa fille pour Noël. Le rendez-vous est programmé, mais cette fois Sarah refuse catégoriquement. « Elle me dit qu’elle ne lui manque pas et qu’elle ne veut pas y aller. » Elodie fait remonter l’information au service et la rencontre est annulée. Quelques jours plus tard, en janvier 2024, la mère de Sarah décède.
Sarah devient pupille de l’État
Un tsunami. « Le RTPE, (Responsable territorial de la protection de l’enfant), qui est mon supérieur hiérarchique direct, me contacte pour m’annoncer la nouvelle. Je m’en souviens comme si c’était hier. Nous sommes allés chercher Sarah à l’école avec la psychologue et le décès de sa mère lui a été annoncé à la maison. Elle n’a pas réagi, c’est une enfant qui ne montre pas ses sentiments, elle n’extériorise pas. » Le RTPE évoque ensuite l’adoption et affirme que la procédure va désormais pouvoir s’accélérer. Ce qui surprend Élodie : « J’étais choquée qu’on me parle directement de l’adoption alors que la mère de la petite venait de mourir.»
Les mois suivants, Elodie tente tant bien que mal d’accompagner Sarah dans son deuil. La petite fille montre une certaine indifférence mais l’assistante familiale craint que cela cache quelque chose. Elle demande en vain à ce que la petite fille puisse voir la psychologue plus fréquemment, un seul rendez-vous de 45 minutes par mois lui semble bien insuffisant.
Un entretien professionnel très positif
En avril 2024, l’assistante familiale est convoquée à un entretien professionnel, le premier en 10 ans. « L’entretien s’est déroulé à merveille. On m’a dit que je m’occupais très bien de Sarah. Dans la synthèse écrite que j’ai signée, il est écrit noir sur blanc que j’accompagne bien l’enfant et notamment depuis le décès de sa maman. Il est notifié que le service m’accorde de nouveau sa totale confiance.» Mais tout bascule brutalement pendant l’été.
Au retour de ses vacances mi-juillet, l’assistante familiale découvre qu’elle doit se présenter à un nouveau rendez-vous. « Je m’y rends un peu fébrile, raconte-t-elle. Autour de moi il y a mon nouveau RTPE, une personne que je ne connais pas, le psychologue du service et celui de l’ASE. On m’annonce alors que le conseil de famille a décidé que Sarah devait faire son bilan de projet de vie puisqu’elle est désormais pupille de l’État. Elle doit le réaliser en dehors de chez moi. Il est prévu qu’elle parte six mois, voire un an.»
Sarah part le 14 août à 9h30
C’est la déflagration. Elodie, abasourdie, demande à ce qu’on lui donne un écrit pour pouvoir le retranscrire correctement à ses enfants. Elle veut aussi garder une preuve. La RTPE reste silencieuse durant tout le rendez-vous. Prise de remords, elle suit Elodie à sa sortie et se répand en excuses. Elodierentre chez elle encore sous le choc. La fillette comprend vite la situation. « Elle m’a regardé et a dit : “Je sais, je pars” » Le lendemain, une rencontre est organisée dans un café entre Sarah et sa nouvelle famille d’accueil. Le 14 août à 9h30 Sarah part de chez Elodie. L’assistante familiale est effondrée mais dans son malheur rassurée, car elle connaît la famille chez qui Sarah est accueillie. « C’est une personne en qui j’ai confiance, je sais qu’elle est en sécurité.»
Un cas plus fréquent qu’on ne le pense
Au détour d’une recherche sur internet, elle découvre la Fédération nationale des assistants familiaux (FNAFE). Elle se rend alors compte que son histoire est loin d’être un cas isolé. Elle engage une avocate sur les conseils de l’association, Maître Cacciapaglia. « Nous avons fait un premier référé pour contester la réorientation de l’enfant. Mais le juge du tribunal administratif de Nantes a estimé qu’il n’était pas compétent pour statuer », explique-t-elle.C’est désormais au Conseil d’Etat de décider si la juridiction est compétente ou non.
Parallèlement, en octobre, elle envoie sa demande officielle d’adoption au conseil de famille. Peu de temps après, elle reçoit un courrier lui spécifiant que la petite fille est pupille de l’État depuis le 11 septembre et qu’elle a 30 jours pour contester. Sinon Sarah peut être adoptée à tout moment par une autre personne. Elodie est donc accompagnée par une autre avocate pour contester cette décision-là. Épuisée, l’assistante familiale est contrainte de se mettre en arrêt de travail. Une bonne décision car durant cette période on lui propose à plusieurs reprises de la licencier. « Une façon de se débarrasser de moi et de faire partir définitivement l’enfant », selon elle.
Aujourd’hui, Elodie est en attente et cherche à sensibiliser l’opinion publique sur sa situation. « Il y a des moments où c’est compliqué, je tourne en rond, financièrement c’est très juste, mais je ne lâcherai pas quoi qu’il arrive, assure-t-elle. Cette petite fille, ce n’est pas un objet, ce n’est pas un meuble qu’on déplace. Je suis persuadée qu’elle va finir par revenir.»
* Le prénom a été modifié