Auschwitz, camp nazi d'extermination, était libéré il y a 80 ans ...
Le 27 janvier 1945, les soldats de l'Armée rouge entrent dans le camp de concentration et d'extermination d'Auschwitz-Birkenau, en Pologne, où se trouvent 7000 survivants hommes et femmes. Aujourd'hui, peu de témoins sont encore en vie pour témoigner de l'horreur nazie.
"Nous ne sommes plus qu'une poignée..." Ce dimanche 19 janvier au Mémorial de la Shoah, quatre rescapées du camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau ont témoigné de leur déportation, devant un auditoire très conscient de l'enjeu de transmission de la mémoire.
>> Lire : Environ 245'000 personnes rescapées de la Shoah seraient encore en vie
La Shoah, soit "la catastrophe" en hébreu: deux tiers des juifs et juives d'Europe ont été exterminés systématiquement par l'Allemagne nazie. Près de six millions de personnes de confession juive ont été tuée durant la Seconde Guerre mondiale. L'Etat nazi a aussi commis d'autres atrocités de masse en persécutant et assassinant des millions de personnes non juives comme des personnes homosexuelles, handicapées, roms, appartenant à certains groupes ethniques, des prisonniers de guerre.
>> Le camp d'Auschwitz a été ouvert en mai 1940: Carte de la déportation et des centres de mise à mort, 1940-1945 (Musée de l'Holocauste, Montréal)
Sans rien éluder de l'horreur qu'elles ont vécue, Yvette Lévy, Judith Elkan-Hervé, Ginette Kolinka et Esther Sénot racontent ce camp nazi devenu le symbole de l'extermination des personnes juives, une semaine avant les cérémonies commémorant les 80 ans de sa libération, le 27 janvier.
Les voix tremblent parfois, chez ces rescapées de 97 à 99 ans, mais les souvenirs restent précis pour raconter l'arrivée et la vie dans ce camp où un million de juifs ont été assassinés.
"Le train a roulé deux jours et deux nuits jusqu'à Birkenau. A l'arrivée, 896 personnes sont parties directement à la chambre à gaz", raconte Yvette Lévy, 98 ans, déportée en juillet 1944 dans un convoi de 1300 personnes (lire encadré).
"On est restées dans une terreur que vous n'imaginez pas. Les nazis sortaient leur pétard quand ça les amusaient. Certaines voulaient se jeter sur les barbelés..." poursuit-elle, en racontant les sélections où il fallait se montrer apte au travail: "On essayait de se tenir bien droites, on se frottait les joues avec la betterave de la soupe quand on passait devant le SS..."
"Les nazis se sont servis de tout pour nous salir, nous humilier", explique Ginette Kolinka, bientôt cent ans, en racontant la dureté inhumaine des kapos privant de soupe les prisonnières affamées. Dans son fauteuil roulant, elle se souvient de sa "honte" lorsqu'il a fallu "retirer tous ses vêtements" à son arrivée.
"Ils nous ont rasées entièrement, nous ont tatoué un numéro sur le bras", explique Esther Sénot, 97 ans, encore capable de réciter le sien – 58'319 – en français et en allemand.
Vous êtes entrés par la porte et vous partirez par la cheminée
Esther Sénot, rescapée d'Auschwitz, se souvient de ce qu'on lui a dit dans le camp
L'ancienne déportée, qui a passé 17 mois à Auschwitz, raconte d'un ton vif la menace constante des chambres à gaz dont elle découvre l'existence avec ces mots: "Vous faites pas d'illusion, vous êtes entrés par la porte et vous partirez par la cheminée".
Judith Elkan-Hervé, 98 ans, fait elle un résumé glaçant: "A l'arrivée à Birkenau, celles qui n'ont pas donné leur enfant à leur mère ou leur copine l'ont porté dans leurs bras à la chambre à gaz. Pour moi Auschwitz c'est ça: les mères qui portent leurs enfants à la mort".
>> Des images de la libération du camp en 1945:
Un appel à la vigilance
Devant l'auditoire où 150 personnes sont installées, elle lance un appel: "Il faut soigner la jeunesse, pour l'éduquer dans une voie différente de la haine. Il faut leur dire la vérité de l'Histoire et les mettre en garde. L'éducation est une chose vitale".
Dans le récit des rescapées, l'appel à la vigilance revient régulièrement: "Ce que j'espère est que ceux qui nous écoutent comprennent que si je parle, c'est parce que certains haïssaient les juifs. Et ça,il ne faut plus que ça recommence", affirme Ginette Kolinka.
"Aujourd'hui nous ne sommes plus qu'une poignée de survivants", conclut Esther Sénot. Et à l'intention des jeunes: "Je compte sur vous pour que vous puissiez témoigner en notre nom à tous, face aux négationnistes et autres faussaires de l'Histoire".
>> David Teboul a recueilli les témoignages de Ginette Kolinka, Esther Sénot, Judith Elkan-Hervé et Isabelle Choko pour un ouvrage publié en 2025: Les filles de Birkenau
La mémoire face à l'antisémitisme
L'enjeu de la mémoire alors que l'antisémitisme progresse, s'avère plus important que jamais aussi pour Albrecht Weinberg. Déporté à Auschwitz en 1943, il a aussi connu les camps de Dora-Mittelbau et Bergen-Belsen: "Je n'étais pas un criminel mais d'un jour à l’autre j'étais un prisonnier. Je n'étais plus Albrecht Weinberg. Je n'étais plus qu'un numéro, le 116'927".
Ses parents sont morts dans les camps nazis tandis que son frère Dieter, sa sœur Friedel et lui ont survécu: "Comment pourrais-je pardonner à l'Allemagne? Ce qu'on nous a fait est tellement horrible qu'une personne normale ne peut pas le comprendre. Et il n'y a presque plus de survivants. Juste une poignée. Lorsque nous serons tous morts, on ne pourra que lire des livres. Ça n'est pas la même chose". C'est pour cette raison qu'il va témoigner dans les écoles: "Pour leur dire de tout faire pour éviter qu'une telle tragédie ne se reproduise".
Et ses cauchemars n'ont cessé de le poursuivre: "En permanence. C'est incroyable combien cela a marqué toute ma vie. Pas une journée ne se passe sans que je pense à mes proches qui n'ont pas survécu. J'ai ce numéro tatoué sur mon bras. Je suis tous les jours un prisonnier du camp de concentration". Albrecht Weinberg a eu 100 ans en mars.
Stéphanie Jaquet et les agences