Clara Ysé : « La musique est un feu qui régénère »
Du plus loin qu’elle se souvienne, Clara Ysé a toujours chanté. Mais sa voix s’est brisée en 2017 après la mort accidentelle de sa mère, la psychanalyste et philosophe Anne Dufourmantelle.
Clara s’en est rendu compte en enregistrant à l’époque un premier EP de six chansons portées par une gravité logique, quasi expiatoire. « Ma voix s’est durcie à ce moment-là, acquiesce-t-elle, ce n’est pas quelque chose que j’ai décidé. Je ne crois pas que l’écriture ou la musique soient thérapeutiques. Mais en retraçant les choses, en proposant un langage, de fait, on répare quelque chose. »
Je travaille ma voix depuis que je suis toute petite
Clara Ysé
À l’époque, Clara a des années de cours de chant lyrique derrière elle. À la nuit tombée, le week-end et dès qu’elle le peut, elle organise chez elle des sessions de chant avec ses amis, venus d’horizons différents. « Je travaille ma voix depuis que je suis toute petite, raconte-t-elle, j’ai suivi un parcours dans la musique classique, puis on m’a offert une guitare à 14 ans. À partir de là, j’ai commencé à composer. »
Mais Clara prend son temps pour enregistrer son véritable premier album, « Oceano Nox », sorti en septembre. Il a fallu qu’elle trouve les bons complices, à commencer par Sage, réalisateur entre autres pour Clara Luciani. « Je voulais un disque avec une grosse dynamique, mais où l’on trouverait aussi des morceaux très dépouillés. Pour moi, ce premier album est une traversée intime et collective de l’océan qui nous habite. »
Les propositions radicales peuvent séduire
Clara Ysé
Pas de prise de tête pour autant. Clara Ysé sait magnifier l’être aimé – sa première histoire avec une femme dans « Magicienne » –, le monde qui part à vau-l’eau dans « Pyromanes », la puissance du féminin avec « Souveraines » ou « Douce », autoportrait d’une femme à l’image sévère qui prêche pour plus de douceur dans les rapports du quotidien. « Si tu voyais la haine qui coule dans mes veines, si tu savais la chienne que je cache à l’intérieur », martèle-t-elle de sa voix grave et lyrique.
Premier single coup de poing, « Douce » se retrouve nommée dans la catégorie « chanson originale », aux Victoires de la musique. Au plus grand étonnement de son auteure. « Comme quoi les propositions radicales peuvent séduire, même si “douce” est un mot un peu galvaudé. Au fond, ce qui compte, c’est que mes chansons soient entendues par le plus grand nombre, qu’elles rencontrent un public. » Elle confesse une forme de provocation ici, mais veut aussi montrer qu’une seule lecture de son art comme de sa personne serait réducteur.
Toucher à l'universel
Difficile par ailleurs de ne pas être bouleversé par « Lettre à M », titre écrit en hommage à sa mère, qui en sauvant un enfant de la noyade, a perdu la vie. « Je pense à toi tous les jours de l’année, as-tu le cœur léger ? » interroge Clara. « Je me suis posé la question d’inclure ce morceau ou pas. Mais c’est une belle chanson qui touche au-delà de mon propre drame ».
D’un murmure ou d’un cri, elle touche à l’universel quand elle évoque cette « Maison » familiale, vendue, celle où les souvenirs de nuits passées à chanter résonnent désormais pour d’autres occupants. Le parallèle avec Barbara – qu’elle ne renie pas –, semble évident. Mais Clara Ysé préfère citer les chanteuses sous influences hispaniques ou brésiliennes, de Mercedes Sosa à Maria Chavez en passant par Lhasa ou Rosalia.
Je crois que j’ai une légère obsession pour la transformation
Clara Ysé
« J’ai une grande passion pour la musique grecque traditionnelle, le reggae, la musique mexicaine aussi. Et j’espère avoir réussi à tisser un lien entre tous ces sons qui n’ont rien à voir entre eux. Pour moi, la musique est un feu qui régénère et qui permet, je l’espère, une reconstruction. Je crois que j’ai une légère obsession pour la transformation. »
De ces dernières années, qui l’ont menée de l’anonymat à la révélation en 2023, Clara Ysé – qui a eu le temps de publier un premier roman en 2021 – retient une chose : « J’ai appris avec ces chansons qu’on ne peut pas réparer ce qui est détruit. Mais les débris qui nous restent nous permettent d’inventer quelque chose d’autre. » C’est une forme de consolation et une manière de transformer sa colère face aux injustices de la vie en grandes chansons.