Auschwitz, 80 ans après: la mémoire de la Shoah est menacée
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Au «pays des bourreaux», la mémoire de la Shoah menacée par l’extrême droiteLe camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz était libéré le 27 janvier 1945. Huitante ans plus tard, l’extrême droite allemande est plus populaire que jamais.
- Le parti d’extrême droite allemand AfD est au plus haut, alors qu’est célébré le 80e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz.
- Les infractions à caractère antisémite sont en forte augmentation en Allemagne depuis le 7 octobre 2023.
- L’extrême droite allemande conteste la mémoire de l’holocauste et se distingue par des sorties polémiques sur Adolf Hitler.
- Les jeunes sont influencés par des thèses négationnistes circulant sur les réseaux sociaux.
Exactement huitante ans après la libération du camp d’Auschwitz (Pologne), où ont été assassinés plus d’un million de juifs, la haine antisémite n’a pas disparu au «pays des bourreaux». «Elle a toujours existé mais elle était cachée», explique Sigmount A. Königsberg, chargé de la lutte contre l’antisémitisme de la communauté juive de Berlin et dont les parents ont survécu à la Shoah (extermination systématique des juifs d’Europe par les nazis entre 1938 et 1945).
«Depuis le 7 octobre (ndlr: date du massacre perpétré par le Hamas en Israël), l’antisémitisme est devenu visible», poursuit-il. La sécurité des juifs est remise en cause dans leur vie quotidienne. «Le moindre spectacle de marionnettes pour enfants doit être surveillé par la police», déplore-t-il. Même les derniers témoins des camps, qui sont centenaires pour la plupart, doivent se protéger lors de leurs apparitions publiques.
Infractions antisémites au plus haut
C’est aussi le cas pour la présidente de l’Union des étudiants juifs d’Allemagne (JSUD), Hanna Veiler. Elle est constamment sur le qui-vive. Depuis le 7 octobre, elle dissimule l’étoile de David qu’elle portait autour du cou. «Mes comptes sur les réseaux sociaux débordent de messages de haine dès que je m’exprime», résume-t-elle.
Elle ne dit jamais où elle se déplace, ni à quelle heure elle arrive dans une conférence, avec qui elle a rendez-vous. Quand elle commande un repas à livrer, elle ne donne jamais son vrai nom. «Je ne peux pas faire une apparition publique sans une présence policière», résume-t-elle.
Hanna Veiler connaît la détresse des jeunes étudiants sur les campus universitaires. «Beaucoup disent qu’ils se sentiraient plus en sécurité sous les bombes à Tel-Aviv qu’en Allemagne», explique Hanna Veiler qui sera lundi aux commémorations officielles à Auschwitz. «Je veux montrer que les jeunes générations n’oublient pas», dit-elle.
«Le nombre d’infractions à caractère antisémite n’a jamais été aussi important depuis la création de la République fédérale», confirme Felix Klein, chargé par le gouvernement de la lutte contre l’antisémitisme. Les juifs, qui représentent en Allemagne moins de 0,3% de la population, sont victimes de 30% des délits d’incitation à la haine. Et Felix Klein d’insister sur leurs auteurs: «La majorité vient de l’extrême droite.»
Record attendu pour l’AfD
Depuis la montée en puissance de l’extrême droite, qui devrait devenir la deuxième force politique de l’Assemblée fédérale (Bundestag) après les élections anticipées du 23 février, c’est toute la mémoire de la Shoah qui est remise en cause. L’AfD (Alternative für Deutschland) réclame un «virage à 180 degrés» de la politique mémorielle de l’Allemagne, selon les termes de Björn Höcke, le leader d’extrême droite de Thuringe qui a remporté aux élections régionales de septembre 2024 près de 33% des voix, un nouveau score jamais atteint par l’extrême droite depuis les nazis en 1930.
«Nous sommes confrontés constamment à des attaques de l’AfD», explique Jens-Christian Wagner, le directeur du mémorial de Buchenwald en Thuringe, un ancien camp de concentration près de Weimar. «Leurs élus font une politique d’obstruction systématique pour discréditer notre travail et nous faire passer pour des ennemis», poursuit-il.
L’extrême droite tente de renverser l’histoire en affirmant par exemple qu’Adolf Hitler était un communiste. Alice Weidel, la présidente et candidate de l’AfD à la Chancellerie, l’a répété pendant la campagne. «Ils inventent de nouvelles légendes qui circulent sur les réseaux sociaux comme celle de ces soldats allemands qui seraient morts dans les camps de concentration. Les gens croient tout cela!» déplore Jens-Christian Wagner.
Les jeunes sont particulièrement sensibles à ces propagandes diffusées sur TikTok ou Instagram. «Le résultat se voit pendant les visites pédagogiques», explique Meron Mendel, directeur du Centre Anne Frank à Francfort. «Les élèves nous demandent si les fours crématoires ont vraiment existé ou si le journal intime n’était pas un faux. Ils disent avoir lu des preuves sur TikTok», poursuit-il.
C’est un grand défi pour ses collaborateurs de faire face à ces questions. «Nous évitons de dramatiser. Nous vérifions les sources avec eux. Dans la majorité des cas, nous arrivons à convaincre qu’ils se trompent. Ils sont encore peu sûrs d’eux», assure Meron Mendel. «À l’école, on parle surtout des juifs qui sont morts mais pas des vivants», dit Hanna Veiler pour déplorer le manque de connaissance du judaïsme en Allemagne.
Thèses négationnistes répandues
Jusque dans les années 2000, les jeunes devaient faire une démarche volontaire pour trouver de la littérature négationniste. «Aujourd’hui, les fausses informations sont à portée de main sur les réseaux, ce qui démultiplie la force de ces mensonges», insiste Jens-Christian Wagner.
Le résultat est une adhésion grandissante des jeunes aux idées de l’AfD. «Avant, c’étaient plutôt les gens plus âgés, souvent d’anciens nazis, qui constituaient l’électorat de l’extrême droite. Aujourd’hui, ce sont les plus jeunes. C’est inquiétant», poursuit-il. Aux dernières élections régionales de Thuringe, plus d’un tiers des 18-24 ans a voté AfD, plus que toutes les autres tranches d’âge.
Malgré cela, l’intérêt pour la mémoire de la Shoah est plus vivant que jamais. La fréquentation des mémoriaux n’a jamais été aussi importante. «Nous affichons complet sur plusieurs années pour les visites organisées. Les dons n’ont jamais été aussi importants, par solidarité», confirme Jens-Christian Wagner.
Malgré cela, beaucoup de juifs voient un avenir très sombre en Allemagne. «Je ne serais pas surpris si un juif se faisait assassiner», lâche Sigmount A. Königsberg. Pour l’instant, toutes les attaques contre des institutions juives ont échoué. En 2019, un forcené, radicalisé sur internet, avait ainsi tenté de pénétrer par la force dans la synagogue de Halle le jour de la fête juive Yom Kippour pour massacrer avec son arme automatique des dizaines de fidèles à l’intérieur. Par miracle, la porte avait résisté aux balles.
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